C'est ainsi que la journaliste du magazine AD, Sophie PINET, a intitulé son article et qu'on a pu voir cette couverture fleurir les devantures des kiosques en cette fin d'été 2013.
Bofill serait-il un révolutionnaire?
Avec l'aimable autorisation de Sophie PINET, nous vous faisons partager les lignes qu'elle a rédigées.
Les photos sont d'Alexis ARMANET.
Ricardo Bofill, 30 ans après...
Le 9 Novembre 2013
par Sophie Pinet dans la rubrique Architecture
Dans les années 1980, l’architecte catalan a été
l’objet de toutes les louanges et de toutes les critiques. Aujourd’hui, les
passions se sont calmées et on redécouvre son néoclassicisme pharaonique.
Colossal comme une superproduction hollywoodienne.
L’ensemble
Abraxas (1983) à Noisy-le-Grand, vu depuis l’intérieur, avec son jardin en
gradins et, au premier plan, l’Arc.
©
Alexis Armanet
Comme
un ouragan. La scène dure dix secondes au début du clip. Mais cela suffit pour
installer l’Ouragan de Stéphanie de Monaco au sommet du Top 50 en 1986.
Et immortaliser, du même coup, l’un des projets les plus spectaculaires du
vaste programme des villes nouvelles qui encerclent Paris à partir des années
1970, période d’accroissement démographique et de pénurie de logements.
Abracadabra ! Ou plutôt Abraxas, mi-dieu mi-démon, selon que l’on se plonge dans les légendes persanes ou les mythologies gnostiques, selon
que l’on
est à la
périphérie de l’édifice ou dans ses entrailles. C’est ainsi que l’architecte catalan Ricardo Bofill
baptisera l’ensemble de 600 logements qu’il achève à Noisy-le-Grand en 1983.
Coups de théâtre
Répartis en trois temps, le Palacio, le Théâtre et
l’Arc marquent une rupture avec les grands ensembles que la France privilégiait
jusque-là. « Dès le départ,
nous avons pensé ce
projet comme une métaphore,
nous avons voulu théâtraliser
l’espace », raconte l’architecte depuis le Taller de
Arquitectura, son agence de Barcelone.
Histoires politiques, histoire des
formes, histoire du langage architectural :
chez Bofill, le classicisme est à l’honneur. Souvent cité comme un héritier de Gaudí, on l’imagine
aussi succombant aux charmes du néoclassicisme de Ledoux. Il confirme, puis se
justifie, de peur que l’on ne voie son œuvre comme une caricature du passé. « Ce sont des logements sociaux, nous avons dû utiliser des techniques de préfabrication, et donc user de la
répétition. Or la répétition entraîne forcément le classicisme. » Le point est accordé.
Mais l’architecte s’est longtemps imaginé metteur en scène d’une
tragédie
en trois actes. Ainsi, à
peine le chantier entamé,
il pointait du doigt l’Arc
trônant
au centre, encerclé par les logements et des gradins : « L’escalier s’arrêtera
sur une plate-forme d’où l’on pourra écouter du Wagner… ou se suicider si on en a envie. » Le sort en était jeté, et le choix entre deux drames, impossible.
Quasi sur
la même
latitude, à l’ouest de Paris cette fois, avec le château de Versailles et les
jardins de Le Nôtre en ligne de mire, bienvenue à Montigny-le-Bretonneux. Un
autre projet de ville nouvelle, avec encore, côté réalisation, l’architecte
catalan tant critiqué. Ici, il a délaissé la Sainte Trinité, autrement dit le
rythme en trois temps, pour faire l’éloge d’une valse à deux temps. Les Arcades
du Lac et le Viaduc sortiront de terre en 1982, tout comme le plan d’eau
artificiel de quatre hectares. La vie de château n’est pas loin, mais celui-ci
est désormais la résidence du peuple.
Le chaos de l’histoire
Le chaos de l’histoire
Bofill serait-il un révolutionnaire?
Pas tout à
fait. Si la répétition œuvre à
nouveau, et la nostalgie envahit les façades, en sous-sol, des hectares de parking se
creusent. La vie au-dessus, la circulation en dessous, soit l’architecture de
dalle. Prônant la rupture, Bofill s’est bercé des mêmes illusions que ses
contemporains. Et si l’implantation de ses bâtiments est réalisée à la manière
de haies de buis dans un jardin à la française, avant de se prolonger en un
viaduc jeté au-dessus de l’immense plan d’eau, seul le vent et le silence
s’engouffrent en ce jour d’été dans les allées des Arcades du Lac.
Comme tous
les acteurs à l’origine de ces villes nouvelles, Bofill aura omis une
chose : les villes se plaisent à vivre dans le chaos de leur histoire.
Aujourd’hui, alors que la France semble lui tourner le dos, il range ses
dossiers avant de prendre un avion pour la Russie, terre promise de ses futurs
projets.
« Vous me dites que ce que j’ai fait en
France est pharaonique, mais ce n’est rien par rapport à ce que je bâtis
là-bas. Venez déjeuner à Barcelone, je vous montrerai l’échelle de ces projets. »
L’accent est irrésistible et Bofill semble esquisser un sourire. Après avoir traversé tous les ouragans, le
septuagénaire maintient sa trajectoire bordée d’illusions. Il faut bien
entretenir la légende.
Le quartier des Arcades du Lac (1982), à
Montigny-le-Bretonneux, se poursuit le long d’un vaste plan d’eau avec le
Viaduc.
© Alexis Armanet
Le vaste couloir de circulation qui
encadre l'ensemble de Noisy-Le-Grand et mène aux logements, est rythmé par des
éléments classiques, comme des temples et des colonnes.
© Alexis Armanet